Dans le cadre de la conférence « International Conference on Cognitive Aircraft Systems » (ICCAS) qui s’est déroulée en mai 2021, le professeur Don Harris, spécialiste en facteurs humains à l’Université de Coventry, est intervenu pour présenter sa vision de la nature de la relation pilote-machine.
Qu’est-ce qu’un cyborg ?
Un cyborg est un organisme qui fait état de capacités améliorées en raison de l’intégration de composants artificiels ou de technologies qui reposent sur la rétroaction. Demander si le pilote n’est pas en réalité un cyborg peut paraître insensé, mais mérite une réflexion et a un impact sur la façon dont les spécialistes de l’ergonomie, notamment de l’ergonomie cognitive, pensent les interactions homme-machine. En effet, certains auteurs suggèrent que de multiples interactions entre les humains et la technologie résultent en réalité déjà à la création de cyborgs, en tant qu’un système à la fois biologique et technologique et ayant pour conséquence l’augmentation des capacités de l’être humain. C’est le cas par exemple d’un individu portant un pacemaker ou bien un implant cochléaire pour augmenter son niveau d’audition.
Retour sur la notion de cognition distribuée
Pour comprendre pourquoi mener cette réflexion est nécessaire, Don Harris revient sur la notion de cognition distribuée. La cognition distribuée prend en compte le fait que nous interagissons avec des artefacts de notre environnement. C’est un paradigme initié par Edwin Hutchins selon lequel la cognition est distribuée entre des acteurs et des supports matériels constituant ensemble un « système de cognition distribuée ». Hutchins soutient que l’approche de la psychologie cognitive n’est pas fausse mais limitée, car le cadre de référence des chercheurs en psychologie cognitive se limite aux processus cognitifs humains.
Or, il n’est pas possible d’étudier la cognition humaine sans prendre en compte le contexte dans lequel l’être humain est situé… et les artefacts qu’il utilise pour se rendre « plus intelligent ». En effet, nous utilisons tous consciemment ou inconsciemment des artefacts pour augmenter nos capacités cognitives. La cognition distribuée est alors la coordination entre l’individu, les artefacts et son environnement. Le simple fait d’utiliser un crayon et un papier nous permet d’augmenter notre capacité de mémorisation, que ce soit à long terme (écrire dans un journal intime, écrire sa to-do list), ou à court terme (écrire un calcul tel qu’une division euclidienne sur un papier). C’est pourquoi il est important de prendre en compte les artefacts que nous utilisons dans l’étude des processus cognitifs humains.
Si le crayon et le papier nous aident à réaliser une division en augmentant notre mémoire de travail, la limitation du traitement de l’information ne provient alors plus de notre capacité de stockage (l’empan de 7 items +/- 2) pour retenir les chiffres mais c’est le degré de précision que nous avons à nous rappeler et à exécuter des procédures (qui se trouvent dans notre mémoire à long terme) pour faire cette division. Cela n’a donc pas fait qu’augmenter notre capacité de mémoire de travail mais a aussi et surtout changé la nature de la tâche ! La tâche de division en elle même est alors distribuée entre la composante humaine et la composante non-humaine qui correspond au crayon plus papier. Certains auteurs parlent d’amplificateurs cognitifs pour décrire ce qui augmente les capacités cognitives d’un utilisateur. Nous n’avons plus besoin de tout savoir ou de connaître le maximum d’éléments, mais plutôt de savoir accéder à et interpréter les informations pertinentes qui nous sont données au travers d’interfaces.
Changements d’objectifs dans la conception d’interfaces pilote-cockpit ?
De la même manière, grâce à l’interface pilote-cockpit, le pilote n’a plus besoin de retrouver dans sa mémoire à long terme les valeurs de références dont il a besoin pour mener à bien sa tâche de vol ou d’atterrissage puisque cela sera indiqué sur l’interface qui permet ainsi de délester la mémoire à long terme du pilote au système, auparavant sujette à erreurs. Ce phénomène se nomme le délestage ou déchargement cognitif (cognitive offloading). D’autres aspects des cockpits modernes sont aujourd’hui considérés comme des amplificateurs cognitifs voire perceptuels (instauration de la vision infrarouge). En réalité, les facteurs humains ont considérablement évolué et n’ont pas le même angle de vue que 40 ans auparavant. Aujourd’hui, nous étudions l’interaction entre l’humain et la technologie mais si nous prenons du recul sur la situation, nous cherchons en réalité à augmenter les capacités de l’être humain. L’auteur questionne ainsi sur une approche des facteurs humains qui est devenue finalement bien plus techno-centrée qu’anthropocentrée.
Qu’en pensez-vous ?
Cette réflexion ne constitue qu’une petite partie de la conférence que j’ai trouvée particulièrement intéressante, je vous invite à regarder la suite de l’intervention de Don Harris et de la conférence via ce lien.