L’implication de nos fonctions exécutives dans nos apprentissages9 min read

Share

Contexte

Petit article pour vous introduire aux fonctions exécutives et comprendre en quoi elles sont impliquées dans nos apprentissages.

Dans notre quotidien, nous réalisons de nombreuses tâches : allumer la lumière, lacer nos chaussures, ouvrir la porte… Ces actions sont quasi automatiques, ne demandent pas à réfléchir et requièrent peu d’attention : on parle de mode « pilote automatique ». Mais il nous arrive également d’être confrontés à des situations qui nous sont nouvelles et dont la réponse ne nous est pas automatique ou immédiate : c’est là que nos fonctions exécutives interviennent.

Que sont les fonctions exécutives ?

Les fonctions exécutives représentent un ensemble de processus mentaux descendants (dits top-down) qui permettent à un individu de pouvoir réguler de manière intentionnelle ses pensées et ses actions afin de pouvoir atteindre des buts (Miyake et al., 2000). L’objectif principal étant de fournir une réponse adaptée à un environnement changeant et donc à des situations nouvelles ou « inappropriées ».

Pensez par exemple à vos premières heures de conduite pour la passation du permis B, est-ce que vous aussi vous en ressortiez complètement lessivés ? C’est parce que vous sollicitiez fortement vos fonctions exécutives et votre cher et précieux cortex préfrontal qui est le siège de nos fonctions supérieures et la spécificité de l’être humain (cf mon article sur le paradoxe de Moravec où je vous expliquais quelques petits trucs sur le développement de cette partie du cerveau).

L’attention

D’après la nomenclature d’Adèle Diamond, nous pouvons distinguer trois principales fonctions exécutives qui sont à la base de fonctions exécutives de plus haut niveau (encore… décidément) comme notre capacité de raisonnement, de résolution de problème ou de planification.

Avant cela, lorsque l’on évoque les fonctions exécutives, il est nécessaire de citer le concept large et multidimensionnel qu’est l’attention. En effet, il convient de rappeler que nous sommes sans cesse confrontés à des stimuli de toute part, aussi bien de manière exogène (bruit qui attire notre attention, parfum qui évoque un souvenir) que de manière endogène (gestion et contrôle de nos souvenirs, pensées et émotions qui émergent). L’attention agit alors comme un filtre et nous pouvons la remercier car il ne serait pas viable pour nous, de considérer de manière consciente, ne serait-ce qu’un dixième de tous les stimuli qui se présentent à nous. Cela dit, toutes les facettes de l’attention ne sont pas directement liées aux fonctions exécutives.

Nomenclature d’Adele Diamond (2013)

La mémoire de travail

Un rôle essentiel de l’attention est de sélectionner les informations pour la mémoire de travail (qui iront ensuite se loger dans la mémoire à long terme), et c’est LÀ l’une de nos fonctions exécutives : plus précisément, c’est la mise à jour en continu de l’attention et la modification des informations « anciennes » par des informations plus nouvelles… dans la mémoire de travail.

D’après le modèle de Baddeley & Hitch et pour vous l’illustrer, cela se passe ainsi : vous conduisez, vous entendez alors un klaxon de voiture, cette information est traitée par la boucle phonologique. Le calepin visuo-spatial vous permet de mémoriser les informations telles que la taille de la voiture, distance à la votre, localisation d’éventuels piétons et autres composants. Le tampon épisodique facilite l’intégration de ces éléments ensemble et l’administrateur central les coordonne et procède à leur traitement. Vous pouvez ainsi manipuler plusieurs informations en même temps pour répondre à cette situation que vous n’attendiez pas. 

C’est aussi grâce à la mémoire de travail que vous pouvez  mémoriser de longs codes (bancaires, téléphoniques) – en prenant bien soin de regrouper cette suite de chiffres en petits groupes de chiffres, car notre mémoire de travail présente une limite : l’empan mnésique qui est de 7 items (+/- 2).  La mémoire, de manière générale, est l’une de nos capacités phare, que ce soit au regard de la gestion des buts et de la planification (elle permet en effet de maintenir en tête votre but et sans cela, il serait sûrement difficile d’aboutir à une réponse adaptée)… que de la prise de décision (l’étude des liens entre la mémoire et la prise de décision fleurit).

Le contrôle inhibiteur

Alors que l’attention, et notamment l’attention sélective, active l’information pertinente, l’inhibition permet de mettre à l’écart l’information non pertinente (Simpson & Riggs, 2007). Cette fonction exécutive nous permet de supprimer les cognitions et actions inappropriées, résister à l’information qui ne nous est pas pertinente. C’est grâce au contrôle inhibiteur que nous pouvons choisir de considérer un stimulus plutôt qu’un autre : penser à la route et ses imprévus plutôt qu’à une situation négative ou positive qui vient de nous arriver. Cela n’est pas toujours simple et l’être humain est faillible. C’est aussi le versant comportemental de l’inhibition qui est au cœur de notre vie humaine : en effet, notre contrôle inhibiteur nous permet la maîtrise de soi et de nos émotions et ainsi, d’avoir un comportement social adapté. Le test de la guimauve ou bien l’erreur A-nonB  sont des exemples de tâches marquants qui rendent compte de la puissance du contrôle inhibiteur.

La flexibilité cognitive

La troisième et dernière fonction exécutive d’après Adele Diamond, est la flexibilité cognitive. C’est un processus complexe qui se distingue des deux autres mais les trois fonctionnent ensemble, comme les rouages d’une horloge. La flexibilité cognitive va se servir de tout le travail effectué précédemment pour basculer vers une nouvelle réponse. Elle nous permet de passer d’une opération cognitive à une autre, autrement dit, de se désengager d’une tâche pour se réengager dans une autre. C’est grâce à notre capacité de flexibilité cognitive, en partie, que nous pouvons observer avec attention la scène routière et ses imprévus et quelques millisecondes après répondre à cet imprévu de manière plus ou moins adaptée en exerçant un contrôle moteur sur les commandes de la voiture. La réponse finale pourrait par exemple être : changer de voie, s’arrêter, freiner ou accélérer, selon tous les paramètres actuels de l’environnement retenus par la mémoire de travail et sans prendre en compte les paramètres impertinents que notre contrôle inhibiteur aura pris le soin de minimiser. En neuropsychologie, cette capacité peut être mesurée avec le célèbre test de tri de cartes du Wisconsin ou le Dimensional Change Card Sort pour les enfants.

Fonctions exécutives et apprentissages

Lorsque vous apprenez une nouvelle chose, vos fonctions exécutives sont mises en jeu. Je vous ai parlé du cas de l’apprentissage de la conduite, mais le cours de psychologie cognitive de votre professeure préférée vous fait le même effet : mise en jeu de la mémoire de travail, de la planification, de la résolution de problème… A ce stade, les individus qui activent le plus le cortex préfrontal performent mieux que les autres.

Dès lors que ce n’est plus nouveau, les zones plus anciennes du cerveau (cervelet, ganglions de la base) sont davantage activées que le cortex préfrontal. L’activité a été automatisée et à cette étape là, penser à ce qu’on est en train de faire peut au contraire perturber la réalisation de la tâche. Alors, les individus qui activent le moins le cortex préfrontal performent mieux que les autres.

L’apprentissage sert donc à maîtriser une chose au point de ne plus avoir besoin de ses fonctions exécutives et de son cortex préfrontal… tout en étant capable de repérer de nouveaux éléments et de déclencher les fonctions exécutives au besoin !

Notez également que les fonctions exécutives peuvent être rapidement affectées si vous ressentez de l’anxiété, de la tristesse, de la solitude, de la fatigue, une privation chronique de sommeil ou une mauvaise condition physique. Vous pouvez alors faire face à ce qui ressemble à un dysfonctionnement des fonctions exécutives : des problèmes de concentration, de faibles performances de raisonnement, de résolution de problèmes, des oublis, ou encore une difficulté à exercer la maîtrise de soi et l’auto-discipline ! Ainsi, tout n’est pas blanc ou noir, tout n’est pas fonction ou dysfonction, et au delà de ses performances, c’est sa santé physique et mentale qu’il faut préserver (appelez moi Gandhi dorénavant).

Conclusion & discussion

En conclusion, d’après Adele Diamond, nous avons 3 fonctions exécutives que sont (i) la mémoire de travail, qui met régulièrement à jour nos informations et nous permet de jongler avec plusieurs informations en même temps ; (ii) le contrôle inhibiteur, mécanisme actif de suppression des informations interférentes et distractrices (c’est notre attention sélective) ainsi que des réponses inadaptées à la situation (self-control 🧘🏻‍♀️) ; (iii) la flexibilité cognitive, qui nous permet de passer d’une activité à une autre, par exemple, vous pouvez observer le feu qui va passer au rouge, prendre la décision de ralentir, observer dans votre rétroviseur intérieur la voiture derrière vous qui vous colle un peu trop puis … ainsi de suite, et tout cela dans un court laps de temps, merveilleux n’est-ce pas ?

Les fonctions exécutives sont importantes dans tous les aspects de la vie. Leur lien avec la qualité de vie d’un individu a été démontré : les personnes ayant de meilleures fonctions exécutives sont associées à une meilleure qualité de vie, à une meilleure santé physique & mentale, à la réussite professionnelle (trouver et garder un emploi), personnelle et sociale (amis, mariage…).

Certains auteurs postulent même qu’elles sont plus importantes que le QI pour la préparation à l’entrée à l’école (Morrison et al., 2010), ou encore, qu’elles prédisent les compétences en lecture et en mathématiques d’un enfant dès son plus jeune âge (Borella et al., 2010).