Ergonomie corrective et ergonomie de conception
L’ergonomie est une discipline récente qui a pour objet d’étude le travail. L’ergonomie classique repose sur deux modalités d’intervention : l’ergonomie corrective qui consiste à corriger les situations de travail inadaptées et l’ergonomie de conception ou préventive dans laquelle l’ergonome intervient dès la conception des situations de travail (Brangier & Robert, 2012).
En complément de ces deux modalités classiques d’intervention, Brangier et Robert (2014) proposent de définir une nouvelle modalité d’intervention : l’ergonomie prospective. Celle-ci consiste à “anticiper les futurs besoins, usages et comportements ou à construire les futurs besoins en vue de créer des procédés, produits ou services qui leur sont bien adaptés” (Brangier & Robert, 2014). L’ergonomie prospective établit ainsi un pont entre
l’ergonomie et l’innovation qui peut être définie comme l’invention de solutions nouvelles (produits, procédés, services) qui s’intégreront dans les usages des personnes à qui elles sont destinées (Brangier & Valéry, 2021). Plus encore, l’ergonomie prospective apporte une nouvelle façon d’appréhender l’innovation, devenant ainsi une innovation “need-seeker”, c’est-à-dire centrée sur l’humain, l’usage et l’anticipation des besoins futurs (Jaruzelski et al., 2014).
L’analyse de l’activité, méthode fondamentale issue de l’ergonomie classique, est-elle adaptée à la démarche d’ergonomie prospective ?
L’analyse de l’activité consiste à observer des personnes dans leur champ d’activité afin d’analyser les tâches qu’elles effectuent (Lefebvre, 2019) et de repérer les éventuels erreurs et dysfonctionnements survenant pendant leur réalisation (Brangier & Robert, 2014) dans le but de concevoir ou corriger une situation. De son côté, l’ergonomie prospective se place en amont de l’ergonomie classique et a pour défi de recueillir des données, non pas sur l’activité existante mais sur l’activité future et donc sur la manière dont l’activité existante pourrait évoluer.
Ainsi, dans une démarche d’ergonomie prospective, lorsque l’analyse de l’activité est possible, elle est nécessaire mais insuffisante et inadaptée pour anticiper les situations et besoins futurs (Brangier et al., 2019). En effet, l’activité actuelle est “rarement directement transposable dans la future situation” en ce sens qu’elle ne peut pas prendre en compte des données inconnues telles que de nouveaux outils technologiques ou de nouvelles formes de
travail (Brangier & Robert, 2014). L’analyse de l’activité ne peut être effectuée sur des situations, des utilisateurs et outils encore inexistants. L’ergonomie prospective s’appuie pour cela sur la capacité de l’humain à se projeter mentalement dans le futur, autrement dit sur le développement de la cognition orientée futur (D’Argembeau, 2016). L’analyse de l’activité doit donc s’outiller de nouvelles méthodes centrées sur la prospective, la créativité
et la cognition orientée future (Brangier et al., 2019) présentées dans un prochain article.
Sources
Brangier, E., & Robert, J.-M. (2014). L’ergonomie prospective : Fondements et enjeux. Le travail humain, Vol. 77(1), 1‑20. https://doi.org/10.3917/th.771.0001
Brangier, E., & Robert, J.-M. (2012). L’innovation par l’ergonomie: éléments d’ergonomie prospective. In D. Llerena et D. Rieu (Eds) Innovation, connaissances et société : vers une société de l’innovation. 59-82, Paris : L’Harmattan. http://innovacs-innovatio.upmf-grenoble.fr/index.php?id=234
Brangier, E., & Valléry, G. (2021). Ergonomie : 150 notions clés. Dunod.
D’Argembeau, A. (2016). La pensée future épisodique : Entre simulation et contexte autobiographique. Revue de neuropsychologie, 8(1), 55‑59. https://doi.org/10.3917/rne.081.0055
Réflexion proposée avec Julie SALISSE linkedin et Florence D’INCA linkedin.