Les raisons pour lesquelles on consomme des substances qui modifient nos états d’esprit sont nombreuses (se faire des amis, accéder à des sensations différentes, réduire son niveau de stress,…). Dans tous les cas, la prise de la drogue nous procure un plaisir ou un soulagement immédiat qui nous incite à y recourir de nouveau. Presque toutes les drogues agissent donc comme des agents de renforcement positif. Les drogues capitalisent en fait sur un système qui a été mis au point par l’évolution pour nous inciter à renforcer les comportements favorables à la survie de l’espèce : pour nous inciter à se nourrir ou à se reproduire par exemple, activités génératrices de plaisir et de bien-être.
Prendre une drogue ne serait donc rien d’autre qu’un moyen artificiel d’activer ce système naturel. Le danger de certaines drogues, c’est justement qu’elles court-circuitent très fortement cette voie naturelle de la production des plaisirs. On peut alors se mettre à consommer abusivement une substance pour tenter d’oublier une réalité vécue comme insupportable… Et sombrer dans une dépendance qui nous fera oublier jusqu’à nos besoins les plus fondamentaux. De la consommation récréative occasionnelle à la dépendance, il existe donc un gradient dans la consommation de drogue.
Nous avons dans le cerveau des circuits qui renforcent les comportements utiles à notre survie en nous procurant du plaisir. Le cerveau favorise donc naturellement les conduites qui nous amènent à rechercher l’euphorie. Or la prise de substances psychoactives est un moyen direct d’y parvenir. Les risques associés à la consommation d’une drogue varient avec la nature de la drogue, la vulnérabilité du consommateur, la quantité consommée, etc. Mais les drogues affectent surtout le cerveau selon qu’elles soient prises durant une courte ou une longue période. On distingue trois types de consommation : l’usage récréatif (essai par curiosité ou imitation, consommation occasionnelle et modérée n’entraînant pas d’escalade dans la consommation), l’abus (la santé physique et psychologique de l’individu commence à être touchée, des répercussions sur sa vie se font sentir telles que l’absentéisme, vigilance réduite, mauvais résultats scolaires) et la dépendance (on parle de pharmacodépendance, besoin irrésistible de consommer).
La dépendance
Quand on pense aux dépendances, on pense immédiatement aux drogues, donc à des substances que l’on introduit dans notre organisme. La vulnérabilité aux dépendances ne se limite pas seulement aux substances psychoactives mais s’applique aussi aux comportements compulsifs comme la pratique pathologique du jeu, la boulimie, etc. qui peuvent eux aussi déboucher sur un besoin irrépressible de réitérer en permanence le comportement de consommation. On a donc un deuxième grand type de dépendance. Ce sont les dépendances à une activité quelconque, où les molécules créant la dépendance sont alors sécrétées par notre propre corps. Cette activité peut être le sport, le jeu, la présence d’une personne en particulier ou toute autre situation qui nous procure des sensations fortes. Des changements comportementaux qui accompagnent la consommation compulsive d’une drogue peuvent être mieux compris si l’on distingue la dépendance physique de la dépendance psychologique.
NB : Deux mécanismes de défense psychologique se retrouvent souvent chez les gens dépendants : le déni et la rationalisation.
La dépendance physique
La dépendance physique est une réaction physiologique de l’organisme à l’absence du produit. C’est un état de manque qui s’accompagne de symptômes physiques incommodants appelés le sevrage (voir plus bas). Elle survient lors de la privation de plusieurs drogues tels que les opiacés (dérivés de l’opium), le tabac, l’alcool et certains médicaments psychoactifs. Celle-ci engendre des malaises physiques qui varient selon le produit : douleurs avec les opiacés, tremblements majeurs avec l’alcool, convulsions avec les barbituriques et les benzodiazépines.
En fait, la plupart des symptômes de sevrage sont les opposés de ceux observés en cas d’intoxication avec la même substance. Ceci s’explique par les voies compensatoires développées par le cerveau et qui se révèlent soudainement en trop. Ces symptômes peuvent aussi être accompagnés de troubles du comportement (anxiété, angoisse, irascibilité, agitation…).
Il peut être très dangereux, voire mortel, d’arrêter brusquement la consommation de certains psychotropes consommés régulièrement. Ainsi, le sevrage d’anxiolytiques ou de somnifères doit se faire sous la supervision d’une personne qualifiée.
Par exemple la nicotine contenue dans le tabac est un très bon exemple d’une substance provoquant une dépendance physique. Selon les sondages, environ la moitié des fumeurs voudraient arrêter de fumer. Le quart s’y essaie vraiment chaque année. A l’arrivée, un sur deux (c’est-à-dire seulement 12 % des fumeurs) y parviennent. Autrement dit pas grand monde, ce qui prouve bien que ce n’est pas seulement une question de volonté. Car s’il est vrai que la nicotine de la cigarette peut faciliter la concentration, agir comme tranquillisant ou réguler l’appétit en se fixant un peu partout dans le cerveau, elle se fixe aussi dans les circuits de la récompense du système limbique et crée une dépendance.
Nervosité et irritabilité sont deux sensations ressenties couramment lorsque le cerveau du fumeur ne reçoit plus sa dose de nicotine. Pendant plus de trente ans, les industriels du tabac ont farouchement nié la dépendance lié à leur produit. Encore aujourd’hui, ils utilisent mille ruses pour entraîner les plus jeunes dans le cercle infernal de la dépendance. C’est entre 8 et 10 ans qu’il faut alerter les enfants sur les risques du tabac. A 12 ans, il est déjà trop tard.
La dépendance psychologique
La dépendance psychologique peut durer beaucoup plus longtemps que la dépendance physique, des années, voire toute la vie. Elle repose davantage sur les caractéristiques de l’individu (habitudes, états affectifs, styles de vie) que sur la substance elle-même. C’est le souvenir du plaisir associé à l’objet de notre dépendance auquel la personne repense souvent avec nostalgie. Parfois aussi, la réapparition d’un mal-être que la consommation visait à supprimer pousse la personne à rechuter. Elle peut aussi demeurer dépendante par crainte du douloureux sevrage qu’il l’attend si elle cesse la consommation.
La dépendance psychologique est souvent définie par le mot anglais « craving » qui traduit bien l’envie extrême de consommer et de ressentir les effets du produit. Le craving s’apparente aux sensations physiologiques de faim et de soif. L’apprentissage conditionné s’effectuant inconsciemment lors de la prise d’une drogue est aussi un facteur psychologique favorisant la dépendance. Des stimuli endogènes et environnementaux s’associent à la substance convoitée et acquièrent ainsi le pouvoir d’activer seuls le craving. Chez un toxicomane, l’environnement qui entoure les injections revêt donc une extrême importance.
Des rechutes peuvent alors être provoquées par la seule mise en contact de cet environnement associé à la drogue (seringues, lieux de consommation…), mais aussi par la consommation d’une petite quantité de drogue, le stress, ou même des émotions subjectives associées jadis à la prise de drogue. Un bon exemple de substances qui n’entraînent aucun manque physique, mais provoque cependant une dépendance psychique très intense, est la cocaïne ainsi que les amphétamines. Les études neurobiochimiques ont fait du circuit de la récompense un substratum important de la dépendance psychologique. Ceci dit, plusieurs théories explicatives sont encore débattues en ce qui concerne les mécanismes de la dépendance.
Le sevrage
Réussir le sevrage d’une personne dépendante n’est pas chose banale. En effet, on sait que la consommation répétée d’une drogue court-circuite la neurotransmission normale du circuit de la récompense. Le cerveau d’une personne dépendante s’adapte donc à cet apport extérieur régulier de substance psychoactive en modifiant la production de certains de ses neurotransmetteurs. Le syndrome du sevrage survient lorsque cesse soudainement cet apport extérieur. L’organisme, qui a désactivé certaines de ses voies métaboliques, va alors prendre un certain temps avant de rétablir l’équilibre de ses neurotransmetteurs.
Deux solution s’offrent alors pour faire disparaître la douleur associée au sevrage : reprendre de la drogue et laisser la dépendance s’installer encore davantage ; ou laisser le temps à l’organisme (de quelques jours à quelques semaines) pour rétablir l’équilibre de ses neurotransmetteurs cérébraux et avoir ainsi des chances de sortir du cercle vicieux des dépendances.
Les fameux programmes de méthadone pour les héroïnomanes leur permettent d’atténuer les souffrances du sevrage à l’héroïne, l’un des plus pénible. La méthadone est une molécule qui ressemble à l’héroïne et qui se fixe sur les mêmes récepteurs. Mais elle ne provoque pas le pic d’euphorie que produit l’héroïne. De même, les perturbations physiques associées à son sevrage sont moins violentes que celle de l’héroïne. C’est pour cette raison que les héroïnomanes préfèrent le sevrage à la méthadone.
La tolérance
Pour retrouver le vertige et la sensation d’euphorie initiale, la personne dépendante est souvent obligée d’augmenter la dose. En d’autres termes, il lui en faut toujours plus pour avoir le même effet. C’est le phénomène bien connu de la tolérance (ou de l’accoutumance).
La tolérance se traduit par une adaptation au niveau des neurones. Ceux-ci vont, par exemple, modifier le nombre ou la sensibilité de leurs récepteurs pour s’adapter à l’apport supplémentaire de substance. Pour éprouver une sensation de plaisir, la personne dépendante doit donc s’élever au-dessus de ce nouveau seuil. Pour elle, cela signifie augmenter encore un peu plus la dose…
La tolérance peut aussi être induite ailleurs dans l’organisme. Par exemple, plus nous buvons, plus notre foie active des enzymes destinées à transformer l’alcool en substances moins nocives. D’où l’apparition d’une tolérance qui obligent les alcooliques à ingurgiter des quantités d’alcool considérables pour s’enivrer un peu.
Bien que considérée comme une des caractéristiques de la toxicomanie, la tolérance n’est ni nécessaire, ni suffisante au déclenchement de la dépendance. Il existe d’ailleurs des substances non psychoactives qui induisent une tolérance, comme certains médicaments contre l’hyper-tension ; réciproquement, on n’observe pas d’effets de tolérance pour certaines drogues comme les amphétamines par exemple.
Articlé publié avec l’accord de lecerveau.mcgill.ca