Deep learning, cerveau et psychologie : bases en neurosciences 213 min read

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Neurotransmetteurs, apprentissage, mémoire, pathfinding et le lien avec les algorithmes d’IA…

La dernière fois, nous avons terminé sur les synapses. Nous allons aujourd’hui terminer notre introduction aux neurosciences. L’idée de cette série d’articles d’introduction aux neurosciences est d’apprendre au moins quelque chose sur notre immense et complexe « réseau neuronal » afin que nous puissions nous en inspirer et peut-être même le recréer. Mais il faut toujours garder à l’esprit que tout cela n’est que la partie visible de l’iceberg et que vous ne comprendrez pas de si tôt absolument tout des mystères de notre cher Cerveau.

Au programme de cet article : les différents types de neurotransmetteurs, les régulations mises en place par notre corps, une expérience de Roger Sperry (neuropsychologue) sur les grenouilles et la repousse axonale.

C’est parti.

Les neurotransmetteurs

Les neurotransmetteurs sont des messagers chimiques qui transmettent un message d’une cellule nerveuse … à travers la synapse … à une cellule cible. La cellule cible peut être une autre cellule nerveuse, une cellule musculaire ou une cellule glandulaire (un groupe de cellules qui synthétise des substances). Ce sont des produits chimiques fabriqués par la cellule nerveuse spécifiquement pour transmettre le message. Les neurotransmetteurs peuvent être des peptides mais ce sont en grande partie des acides aminés ou des nucléotides. Et il peut y avoir de nombreux types de neurotransmetteurs par synapse.

Dans l’article précédent, nous disions qu’il existe des synapses excitatrices et inhibitrices mais les synapses sont surtout définies par les neurotransmetteurs qu’elles produisent et il existe donc des neurotransmetteurs excitateurs et inhibiteurs.

Des exemples de neurotransmetteurs excitateurs sont le glutamate (impliqué dans la vigilance) et l’adénine (impliqué dans la somnolence). La caféine neutralise les effets de l’adénine par exemple.

Quant aux inhibiteurs, nous pouvons citer le GABA (acide gamma-aminobutyrique) et la glycine qui sont les deux principaux neurotransmetteurs du système nerveux central. Le GABA, en dehors de ses autres fonctions, est un neurotransmetteur « anti-anxiété » : une activité accrue du GABA peut donc avoir un effet sédatif. La glycine participe au traitement des informations motrices et sensorielles qui permettent le mouvement, la vision ainsi que l’audition.

Il existe également des neurotransmetteurs à la fois excitateurs et inhibiteurs comme l’acétylcholine, impliquée dans la connexion neuromusculaire et également présente dans le système nerveux central, la sérotonine et la dopamine, qui vous font vous sentir bien (nous parlerons de la dopamine dans un prochain article).

Les neurotransmetteurs déplacent le potentiel d’action des neurones. En termes mathématiques, les inhibiteurs éloignent la valeur potentielle de l’action du seuil de déclenchement et c’est l’inverse pour les excitateurs.

Les récepteurs

Si quelque chose envoie ces neurotransmetteurs (signaux de base), alors quelque chose d’autre doit logiquement les recevoir. En effet, pour agir, les neurotransmetteurs vont se lier aux récepteurs appropriés. Il existe de nombreux types de récepteurs et il peut y avoir plus d’un type de récepteur par synapse mais nous nous en tenons aux bases, voici donc deux groupes de récepteurs que vous devez absolument connaître :

Le premier est le groupe des récepteurs ionotropes (canaux ioniques). Ce sont des récepteurs qui se lient au neurotransmetteur puis s’ouvrent, ils ont une réponse très rapide (de l’ordre de la milliseconde).

Le deuxième est le groupe des récepteurs métabotropes, ce ne sont pas des canaux ioniques et ils fonctionnent en fait en se liant aux neurotransmetteurs ce qui activera un second système messager, qui à son tour, plus tard, ouvrira un canal ionique. Leur réponse est beaucoup plus lente (souvent bien supérieure à une seconde).

A nouveau, un neurotransmetteur peut activer plus d’un type de récepteurs. Par exemple, la sérotonine se lie à pas moins de 14 récepteurs et un neurone peut exprimer tout un tas de récepteurs de la sérotonine. 🤯

Donc, comme vous le voyez, nos corps ont tendance à avoir des connexions plusieurs-à-plusieurs. Imaginez l’échelle : des millions et des milliards de neurones, synapses, dendrites, neurotransmetteurs et récepteurs, vous comprenez probablement pourquoi nous ne pouvons pas modéliser notre cerveau aussi facilement.

Tout est question de régulation

Nous avons expliqué auparavant que nos corps ont tendance à avoir plus de synapses chimiques que de synapses électriques parce que celles-ci sont hautement régulables. Nous allons maintenant parler spécifiquement de ces synapses chimiques et de la façon dont elles affinent les réponses de notre système nerveux aux plus petits stimuli provenant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de notre corps.

Il existe plusieurs façons de réguler les synapses, du moins à notre connaissance, mais elles ont toutes à voir avec la modification du nombre de neurotransmetteurs.

Le premier est la dégradation. Cela signifie que lorsqu’un neurotransmetteur est libéré, dans certains cas, il est dégradé par des enzymes spécifiques. Il existe par exemple une enzyme particulière qui décompose l’acétylcholine. A noter que si cette enzyme est inhibée de manière irréversible, vous entrez en choc respiratoire, vous ne pouvez plus respirer car vous devez activer et inactiver les muscles via les nerfs, pendant que vous respirez et c’est l’acétylcholine qui active vos muscles (c’est le cas des inhibiteurs gazeux neurotoxiques tels que le Sarin, nous y reviendrons…).

Une autre façon de modifier le nombre de neurotransmetteurs est la recapture par une cellule présynaptique. Lorsque le neurotransmetteur est libéré, il peut être absorbé par la cellule présynaptique et c’est une manière plutôt prudente de faire les choses car la cellule n’a plus besoin de continuer à synthétiser des neurotransmetteurs. C’est exactement le cas de la sérotonine et de la dopamine et dans certains cas, vous pouvez réguler la synthèse, le nombre de neurotransmetteurs fabriqués. Une grande classe de neurotransmetteurs régulés de cette manière sont les endorphines qui sont les opiacés naturels du corps, essentiellement des régulateurs de la douleur.

Tous ces processus sont réglables et notre corps modifie le nombre de neurotransmetteurs en réponse à des stimuli, mais les médicaments peuvent aussi en modifier leur quantité, par exemple, dans le traitement de la dépression.

Revenons sur le gaz neurotoxique que j’ai cité entre parenthèses quelques lignes plus tôt. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont utilisé un gaz appelé Sarin contre les troupes japonaises se cachant sous terre. Ce gaz inhibe de manière irréversible l’acétylcholinestérase qui est censée décomposer l’acétylcholine dans une fente synaptique. Par conséquent, les récepteurs reçoivent une stimulation répétée avec l’acétylcholine, ce qui entraîne une paralysie respiratoire et la mort.

Cependant, cet effet peut être contré par l’atropine, un inhibiteur compétitif de l’acétylcholine. Il se lie aux récepteurs et empêche l’acétylcholine de se lier, évitant ainsi les effets cités. C’est ainsi que les soldats américains se sont protégés du gaz, ils avaient des flacons d’atropine.

L’autre façon de moduler la fréquence à laquelle la cellule post-synaptique est stimulée est de moduler les récepteurs. Intuitivement, si vous avez plus de récepteurs, un neurotransmetteur a plus de place pour se lier et ainsi un plus grand signal peut être envoyé.

Il y a donc trois façons de le faire, modifier le nombre de récepteurs, modifier l’affinité pour un neurotransmetteur et la réactivité du récepteur. Et ces trois moyens ont quelque chose à voir avec l’apprentissage, la mémoire et la dépendance : ces changements sont très lents, ils se produisent en quelques minutes, jours et semaines.

L’un des résultats de la modification de tous ces paramètres sur les récepteurs est que sur une longue période de temps, vous changez réellement le fonctionnement d’une synapse. C’est essentiellement ce que fait la pratique. La pratique modifie le fonctionnement d’une synapse grâce à ces paramètres en simulant à plusieurs reprises cette synapse. Par exemple, lorsque vous jouez de la guitare, vous modifiez petit à petit les synapses qui vous permettent de vous engager dans cette activité.

Il y a alors deux résultats possibles pour lesquels la réponse synaptique change en raison d’une stimulation synaptique répétée : une réponse augmentée ou diminuée. La réponse accrue a lieu au niveau des synapses excitatrices, cela signifie que le potentiel d’action est plus susceptible de se produire et ce processus est connu sous le nom de potentialisation à long terme (PLT). La réponse diminuée, en revanche, se produit au niveau des synapses inhibitrices, et le processus est connu sous le nom de dépression à long terme (DLT).

On pense que c’est ainsi que fonctionne la mémoire. En termes d’apprentissage par renforcement, les connexions qui vous mènent à une récompense plus élevée se renforcent et vice versa, les connexions avec lesquelles vous faites des erreurs s’affaiblissent. Tout comme dans les réseaux de neurones artificiels, plus le poids d’un neurone est faible, moins il a d’impact sur le résultat.

Les réseaux de neurones

Un autre concept dont nous devons parler est celui des circuits neuronaux. Les neurones de notre cerveau n’agissent pas seuls comme des unités uniques, mais forment des groupes d’intérêt.

Regardez ces scans cérébraux. Nous utilisions des régions quelque peu différentes de notre cerveau pour chaque tâche. Des dizaines de milliers de neurones sont utilisés rien que pour traiter ce que vous voyez et de quelle manière vous le voyez. Et ce que vous voyez sur ces scans ne représente que l’activité cérébrale mesurée à la surface, ou cortex cérébral, imaginez alors ce qu’il se passe plus profondément.

La vraie question à se poser est : comment les circuits neuronaux se sont formés et comment les neurones savent où se connecter. Logiquement, il peut s’agir soit d’un processus aléatoire, qui semble un peu stupide à première vue, soit d’un processus guidé, qui semble beaucoup plus cohérent, toujours à première vue.

En effet, nous pourrions soutenir que l’évolution est une question de mutations et que les mutations sont aléatoires, alors pourquoi serait-il stupide de considérer que pendant des milliards d’années, nous avons développé au hasard tous les circuits neuronaux ?

Le fait est que nous développons constamment de nouvelles connexions et comme nous l’avons déjà dit, un cerveau peut changer considérablement en raison de l’apprentissage et du perfectionnement de nouvelles compétences, on parle de plasticité neuronale. Autre chose, de nombreux processus vitaux  doivent être restaurés en cas de destruction et comment un processus aléatoire aiderait-il à le faire, faire les choses au hasard jusqu’à ce que cela fonctionne enfin ? Peu probable…

En réalité, à la fois le processus aléatoire (survivre si une connexion a été établie) et le processus guidé (savoir où aller) de l’établissement de chemins et de connexions à l’intérieur de notre corps, se sont avérés corrects après de nombreuses années de recherche.

Expérience de Roger Sperry

L’une des expériences les plus remarquables dans ce domaine a été menée par Roger Wolcott Sperry, neuropsychologue, dans les années 1960. Il sectionna le nerf optique d’une grenouille et le fit tourner de 180° et replaça la grenouille pour voir si les connexions neuronales se rétablissaient et si oui comment.

Il y a deux régions dans la rétine de la grenouille (et la notre aussi en fait) : une région nasale, située près du nez, et une région temporale, de l’autre côté. Ces régions sont respectivement reliées à deux régions de tectum optique qui, parmi de nombreuses autres fonctions, sont chargées de diriger les mouvements oculaires. Le tectum optique correspond au centre visuel du cerveau des non-mammifères.

Au cours de l’expérience, ces connexions ont été coupées et se sont rétablies après un certain temps.

L’une des hypothèses possibles est que les axones, dont le travail consiste à tracer ces chemins, tombent au hasard sur une région du cerveau et s’y connectent, mais il s’avère en réalité que les axones « savent » où se développer. C’est pourquoi la grenouille a pu restaurer sa vision et ses mouvements oculaires et Sperry obtenir un prix Nobel pour cette expérience.

Non seulement le guidage des neurones (axones) se produit pendant le développement et la réparation de notre corps, mais les scientifiques pensent que cela se produit également lors de l’apprentissage de nouvelles compétences. Donc, certains d’entre nous pourraient littéralement avoir un système plus compliqué que d’autres. Et cela s’intègre parfaitement dans notre métaphore actuelle sur les systèmes informatiques et le cerveau humain, un système capable de nombreuses fonctions est généralement plus sophistiqué et avancé que les analogues moins développés, donc apprendre constamment une nouvelle compétence et élargir vos horizons peut être une très bonne idée…

Cône de croissance

On a découvert qu’un neuroblaste, essentiellement un neurone en formation, envoie au cours de son développement des processus appelés neurites qui se ressemblent au départ, pour plus tard se différencier : l’un d’entre eux devient un axone et le reste devient des dendrites. C’est alors que l’axone pionnier (le premier qui trouve la cible) est formé et que les autres suivent le même chemin qui crée un faisceau d’axones et ensemble, ils forment un nerf.

Mais comment l’axone pionnier cherche-t-il le chemin ? Sur la pointe même de l’axone, il y a ce que l’on appelle le cône de croissance qui est similaire à un détecteur.

Les microtubules stabilisent l’axone et transportent également des substances vers et depuis le corps cellulaire comme de petites voies ferrées. À la toute pointe, ils s’entrecroisent avec ces protubérances en forme de doigts qui sont très dynamiques et font saillie à cause de l’actine polymérisée, ou actine F.

Des récepteurs à la surface du cône de croissance échantillonnent les ligands présents dans l’environnement et si les ligands sont favorables, ils stabiliseront ces saillies et en feront plus (récepteur-ligand).

Le cône de croissance est primordial pour la croissance des axones, c’est comme un système de navigation qui capte les signaux qui attirent les axones vers eux ou les signaux qui repoussent les axones. L’augmentation de l’actine F dans l’environnement crée des signaux attractifs et fait s’étendre le cône de croissance. Comme pour les signaux répulsifs, le cône de croissance s’effondre en raison de l’actine F devenant l’actine G ou actine non polymérisée.

Les ligands sont en fait les signaux de guidage lorsqu’ils se lient à un récepteur et cela conduit à la transduction du signal, donc à la croissance axonale.

Cela rappelle un algorithme de recherche : il va dans une direction, se rend compte que l’heuristique ne fonctionne pas là-bas, passe à une nouvelle route et la répète jusqu’à ce que le chemin soit trouvé.

Conclusion

Les neurosciences sont un domaine d’étude étonnant, époustouflant et incroyablement complexe. J’ai essayé de vous en dire autant que possible sur notre cerveau, mais je ne suis pas un expert, il peut donc y avoir des inexactitudes (n’hésitez pas à m’en faire part). Cependant, je vous invite à explorer le sujet et à vous en inspirer.

Dans un prochain article je parlerai de la dopamine, du système de récompense de notre corps et des fonctions de récompense dans l’apprentissage par renforcement, stay tuned!